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Leo Belgicus, représentation cartographique traditionnelle des Dix-Sept Provinces qui intégraient les Pays-Bas et la Belgique sur un même territoire jusqu’au début du XVIIe siècle, rappelant l’origine commune des deux pays, avant la scission politique et religieuse entre catholiques de l’Union d’Arras au Sud et Provinces-Unies au Nord. 

La Belgique et les Pays-Bas sont deux monarchies constitutionnelles qui n'assurent pas stricto sensu de séparation de l’Église et de l’État.

Ainsi que l'écrit Henri Pena-Ruiz à propos de la Belgique : « l’État et l’Église, loin d'être séparés, collaborent. D'où un statut de droit public pour les religions, assez voisin du système concordataire des cultes reconnus. » (Dictionnaire amoureux de la laïcité, article Belgique.)

Financement des cultes en Belgique en millions d'euros

pour l'année 2004-2005 :

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Source : J-F.Husson, Namur, Les éditions namuroises, 2005.

Il n'en va pas exactement de même aux Pays-Bas, où les communautés ecclésiales  (kerkgenootschappen) ne disposent pas d'un statut de droit public et sont inscrites au registre du commerce au même titre qu'une association, une fondation, une coopérative ou une société.

La prise en charge par l'État de la rémunération des ministres du culte est inscrite dans la Constitution belge, tandis que les dons constituent la ressource essentielle des communautés religieuses aux Pays-Bas. Pour l'église catholique par exemple, 60 % des ressources proviennent des dons des fidèles et 40 % des revenus des propriétés et placements de l'église.

Source : étude de législation comparée de l'intervention des pouvoirs publics dans l'exercice des cultes au sein du Bénélux sur le site du Sénat.

A l'égard des religions, la Constitution des Pays-Bas assure que nulle discrimination n'est permise (art.1), et que toute personne a le droit de manifester librement sa religion ou ses convictions, individuellement ou en collectivité. La Constitution belge interdit aussi toute discrimination en garantissant « les droits et libertés des minorités idéologiques et philosophiques » (art. 11) et la liberté des cultes (art. 19 et 20). « L'État n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque. » (art. 21)


Ainsi, aussi bien en Belgique qu'aux Pays-Bas, la religion est protégée de toute discrimination et le culte est préservé de l'influence de l’État, sans que l'influence de la religion sur la sphère publique ne soit pour autant délimitée.
 

Cette situation s'explique par le fait que la Belgique et les Pays-Bas sont traditionnellement régis par le système de la « pilarisation » (verzuiling) : l'intégralité de la vie sociale d'un citoyen repose sur un « pilier », c'est-à-dire un réseau fondé sur une appartenance religieuse et politique commune qui définira à la fois le vote, le cursus scolaire et universitaire, les médias consultés (journal, radio, télévision), le choix de son syndicat, voire de son club sportif ou de sa banque.
 

En Belgique, trois grands piliers peuvent être identifiés : le pilier chrétien, le pilier socialiste et le pilier libéral (chaque pilier ayant sa branche francophone et néerlandophone).

La pilarisation est facilement identifiable dans le domaine des Universités :

- Pilier chrétien : Université catholique de Louvain et Université (jésuite) de Namur

- Pilier socialiste : Université de Gand, Université de Liège, et Université libre de Bruxelles (ULB)

- Pilier libéral : Université libre de Bruxelles (ULB) et Vrije Universiteit Brussel
 

De la même manière, le monde politique s'organise autour de l'ancienne tripartition : Parti Social Chrétien, Parti Social Belge et Parti de la Liberté et du Progrès.

Aujourd’hui les partis chrétiens francophones sont le cdH (Centre démocrate humaniste) et le CDF (Chrétiens démocrates fédéraux), tandis que le parti chrétien néerlandophone est le CD&V (Chrétiens-démocrates et Flamands). Tous sont issus de l'ancien parti unitaire démocrate chrétien, le Parti social-chrétien (PSC) (Christelijke Volkspartij - CVP en néerlandais).


Il en va de même aux Pays-Bas, où les trois grands piliers traditionnels sont : le pilier protestant, le pilier catholique et le pilier social-démocrate, auxquels peut s'ajouter un quatrième pilier libéral, moins fortement constitué cependant que les trois autres car plus récent.

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Dessin représentant le système de pilarisation, qui associe religion et politique, commun aux Pays-Bas et à la Belgique

Sur chacun des piliers représentés sur ce dessin on pourrait ajouter : les clubs sportifs, les banques, ou encore les hôpitaux.

De nos jours, un rapprochement entre protestants et catholiques a permis l'émergence d'un pilier chrétien, dont le parti chrétien-démocrate (CDA), systématiquement membre de toutes les coalitions au pouvoir, en est la meilleure illustration. 

Longtemps considérés comme des sortes d’États dans l’État, les « piliers » ont quelque peu tendance à perdre de leur influence tant aux Pays-Bas qu’en Belgique, selon un processus appelé « dépilarisation » (ontzuiling). Mais l'enseignement y fait figure d'exception notable.

Depuis le pacte scolaire de 1959 qui a mis fin en Belgique aux querelles entre partisans de l'école catholique et de l'école laïque, les parents ont le choix d’inscrire leurs enfants dans une école officielle non confessionnelle ou dans une école « libre » subventionnée (l'enseignement catholique accueillant à lui seul la moitié des élèves).
 

En vertu de l'article 23 de la Constitution, tous les établissements d'enseignement des Pays-Bas - publics et privés - sont financés sur un pied d'égalité, ce qui signifie que les dépenses de l'État pour les établissements d'enseignement publics doivent correspondre aux dépenses pour les établissements d'enseignement privés.

De manière générale, que ce soit à l'école libre ou dans le réseau des écoles officielles, le choix de l’enseignement d’une des religions reconnues ou de morale non confessionnelle doit être proposé aux élèves, conformément à l'article 24 de la Constitution belge.   

Il est à noter que depuis 2015, un cours de philosophie et citoyenneté a été introduit en Belgique à raison d’une heure par semaine dans l’enseignement officiel au détriment d’une des heures de religion ou de morale. Si l'heure de cours de religion peut néanmoins faire l'objet d'une dispense, cela ne concerne que 10% à 20% des élèves.

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La conception de la laïcité belge se distingue de la conception française puisque les organisations laïques sont reconnues comme une « conviction » au même titre que les cultes reconnus (catholique, protestant, juif, anglican, musulman, orthodoxe, placés dans l'ordre chronologique de leur reconnaissance, quand les cultes bouddhiste et hindouiste attendent depuis 15 ans leur reconnaissance), mettant à la charge de l'État le traitement de leurs délégués suite à une révision de l'article 181 de la Constitution de 1993.

 

Considérée comme une sorte d'« humanisme athée », la « laïcité » en Belgique relève d'une conception qui va à l'encontre de la conception française universaliste, qui est un principe de droit public, un « cadre juridique commun à tous et le fondement commun du pluralisme » (Henri Pena-Ruiz).

Ainsi la coordination des « communautés philosophiques non confessionnelles » est-elle assurée par le Conseil central laïque, qui est l'équivalent, auprès des pouvoirs publics belges, du Conseil administratif du culte protestant et évangélique ou du Consistoire central israélite de Belgique, les « organes chefs de culte ».
 

Il est à noter que le libre choix de l'école au sein du système belge est souvent interprété comme le moteur d'une ségrégation socio-économique car « l’introduction d’une possibilité de choix débouche le plus souvent sur un appariement toujours plus étroit entre les établissements les plus recherchés et les familles les plus aisées qui tendent à s’y regrouper » (Marie Duru-Bellat), créant un niveau d'inégalité parmi les plus hauts d'Europe, selon les derniers résultats PISA.
 

La situation n'est pas moins ségrégative aux Pays-Bas, plus nettement élitaire encore.

Si le droit des parents à une éducation subventionnée, quelle que soit leur confession, est inscrit dans l'article 23 de la Constitution, les élèves passent, à l'âge de 12 ans, un examen qui détermine le reste de leur scolarité (60% des élèves intégrant la voie professionnelle).

A ce système sélectif s'ajoute une distinction établie dès le primaire, entre écoles dites « blanches » (Witte school) et écoles dites « noires » (Zwarte school), selon une terminologie reprise par le Ministère de l’Éducation et qui est interprétée par certains comme une authentique ségrégation ethnique.

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Manifestations aux Pays-Bas d'élèves d'écoles dites « noires » contre la ségrégation scolaire. Texte des tee-shirt : is dit wit genoeg voor u ? : « est-ce assez blanc pour vous ? »

Selon le Bureau Central de la Statistique, les « écoles noires » sont composées par plus de 60% d'élèves issus des minorités culturelles dites « allochtones », c'est-à-dire qui ont au moins un des parents né aux Moluques, au Surinam, à Aruba, aux Antilles néerlandaises, en Afrique, en Amérique latine ou en Asie, à l'exception notable de l'Indonésie et du Japon, pays d'origine permettant aux enfants d'intégrer les « écoles blanches ».

Corollaire de la pilarisation qui assume la séparation de la population en communautés, cette ségrégation socio-spatiale est dénoncée pour entraîner un phénomène baptisé Witte vlucht (« fuite des blancs »), car certains parents, y compris d'origine étrangère, préfèrent inscrire leurs enfants dans les « écoles blanches » réputées meilleures, en dehors de leur zone d'habitation.
 

Enfin, la cour de cassation néerlandaise a précisé qu'un établissement confessionnel financé par l'État peut se prévaloir de la liberté d'enseignement pour refuser l'inscription d'un élève d'une autre confession dès lors qu'il s'agit d'une politique constante de l'école et non d'une décision individuelle ad hoc.

Par le repli sur soi de chaque communauté, la pilarisation est en fin de compte un modèle de communautarisme assumé, à l'opposé du modèle laïque français visant l'émancipation par le pluralisme au sein de l'école.

La « dépilarisation » des Pays-Bas est d'ailleurs toute relative puisque deux nouveaux canaux de radiodiffusion publique ont été créés en 2022, ajoutant deux nouveaux piliers à la liste des piliers traditionnels : Omroep Zwart, le canal dit « noir », à l’adresse des populations dites « allochtones », et Ongehoord Nederland, le canal de la droite populiste, qui charrie des thématiques ouvertement complotiste, antivax, raciste et antisémite.

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Journal télévisé d’Ongehoord Nederland présenté par le personnage de Zwarte Piet arborant ouvertement une blackface sur le mode de la dérision.

Cette fragmentation communautaire des publics interroge le député travailliste Habtamu de Hoop, ancien présentateur de la NTR d’origine éthiopienne :  « La pluralité des chaînes publiques est une bonne chose, mais elle a aussi ses limites. (...) Jusqu'à quel point est-elle nécessaire, et ne faut-il pas la freiner ? Cette question sera à l'ordre du jour politique dans les années à venir. »

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Dessin représentant la pilarisation des Pays-Bas. En légende de haut en bas : Association, Syndicat, Ecole, Radio TV, Journal, Parti politique.

Pourquoi la laïcité ? Le système de pilarisation Belgique et Pays-Bas
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