top of page

Si l'Australie est une monarchie constitutionnelle et un royaume du Commonwealth dont le Roi d'Angleterre est souverain, ce pays n'a pas, à la différence de l'Angleterre, de religion d’État. La Constitution y garantit en effet la Séparation de l’Église et de l’État, selon un modèle fortement inspiré de la Constitution américaine.

​

Le Commonwealth ne fera aucune loi pour instituer une religion, ou pour imposer le respect d'une religion, ou pour interdire l'exercice libre d'une religion et aucun serment religieux ne pourra être exigé comme qualification pour un emploi privé ou public dans le Commonwealth (article 116).

​

Mais l'essor du mouvement chrétien évangélique pentecôtiste, dont le Premier Ministre Scott Morrison (2018 à 2022) aura été un adepte fervent affiché, brouille de plus en plus la séparation entre sphères publique et privée, quand le gouvernement n'hésite pas à confier des missions de service publique à des organisations confessionnelles.

​

Par ailleurs, le modèle multiculturaliste australien a été mis à mal par des altercations parfois violentes avec l'importante communauté libanaise du pays, notamment lors des émeutes de Cronulla en 2005.

​

C’est aussi en 2005 qu’est appliquée pour la première la « loi sur la tolérance raciale et religieuse » votée par le Parlement de Victoria, interdisant tout comportement qui inciterait à la haine ou au mépris en raison de la race ou de la religion. 
​
Le Conseil islamique de Victoria a déposé une plainte auprès du Tribunal Civil et Administratif de Victoria contre deux pasteurs évangéliques créationnistes. Ces derniers ont été condamnés à présenter des excuses publiques pour avoir associé Islam et terrorisme lors d’un séminaire du mouvement évangélique canadien Catch the Fire. Ce verdict, que les pasteurs évangéliques ont qualifié de « charia détournée », a été annulé par la Cour d’Appel de Victoria. Une médiation est ensuite conclue en juin 2007 par un accord entre les parties quant au droit de « débattre fermement de religion, y compris de critiquer la croyance religieuse d'autrui dans une société libre, ouverte et démocratique ».
​
Les attentats de Christchurch commis en 2019 par un suprémaciste australien contre deux mosquées de Nouvelle-Zélande (51 morts) ont créé une forte tension diplomatique entre la Turquie et l’Australie et ont rappelé l’urgence du débat sur la défense du principe de laïcité.

​

Cristina Rocha, directrice du Groupe de Recherche Religion et Société à l'Université occidentale de Sydney, livre ici son analyse du rapport de force entre religion et politique du point de vue du modèle anglo-saxon, selon lequel l'omniprésence de la foi empêche d'envisager tout principe de neutralité qui affranchirait la sphère publique d'une emprise des religions.

Par Cristina Rocha

Directrice du Groupe de Recherche Religion et Société, Western Sydney University

13 mai 2021

Capture d’écran 2021-12-11 à 17.11.12.png

Oui, la religion joue un rôle de plus en plus important en politique. Mais une « Australie laïque » a toujours été un mythe.

« Religion et politique n'ont pas toujours fait bon ménage. (...) En Australie, nous avons été témoins d'une anxiété palpable quant à l'empiètement de la religion sur la politique. Par exemple, il y a eu un tollé (même au sein des anglicans) lorsque les anglicans du diocèse de Sydney ont fait un don de 1 million de dollars australiens (630 000€) en soutien à la campagne contre le référendum sur le mariage homosexuel.

 

L'adhésion ouverte du Premier ministre Scott Morrison au pentecôtisme a également été une source de malaise. Après avoir invité les médias à le filmer en train de participer à un service à l'église Horizon pendant la campagne électorale d'avril 2019, et suite à son élection, de nombreux articles de presse et de spécialistes interrogés se sont demandés si son appartenance religieuse n'influençait pas ses choix.

 

L'affirmation récente selon laquelle il s'est dit appelé à faire "le travail de Dieu" n'a fait qu'ajouter au malaise général. Après tout, l'Australie est une démocratie moderne, libérale et sécularisée, où de nombreux citoyens ne sont pas croyants et où de nombreuses autres religions coexistent avec le christianisme. Le Premier ministre est censé gouverner au nom de tous. (...)

Les spécialistes en sciences sociales ont affirmé qu'à mesure que les sociétés se modernisaient et s’industrialisaient, et qu'elles se sécularisaient, la science remplaçait la religion comme moyen d'expliquer le monde.

 

Cependant, les études ne confirment pas que les Australiens deviennent moins religieux. Depuis les années 1990, de nombreux spécialistes en sciences sociales ont rejeté la théorie de la sécularisation en affirmant qu'il s'agissait d'un mythe ou d'un "vœu pieux" et qu'elle ne correspondait jamais à la réalité. En effet, bien que le nombre de personnes cochant "sans religion" dans les recensements réalisés dans les pays occidentaux soit en augmentation, cela ne signifie pas que les gens soient tous devenus athées, mais simplement qu'il y a eu un déclin de la religion institutionnalisée.

 

Des recherches ont montré que, le plus souvent, ces "sans religion" affirment néanmoins "avoir une spiritualité". C'est-à-dire qu'ils croient (en Dieu, aux esprits, aux anges, etc.) mais n'appartiennent pas à une religion organisée. (...)

Laïcité Religion Australie

Le projet moderne - avec les institutions et les différentes formes de pouvoirs sécularisés - est de plus en plus contesté par un nombre croissant de communautés qui considèrent Dieu et les forces spirituelles comme des autorités ultimes pour ce qui est de la manière dont les gouvernements doivent concevoir les politiques et les lois, et de la manière dont nous devons mener nos vies. Pour les pentecôtistes, par exemple, il existe un dessein divin qui agit dans le monde, car Dieu est présent et intervient dans les événements du quotidien.

 

Il suffit d'observer la croissance des théories du complot et du mouvement anti-vax, en particulier pendant la pandémie de COVID-19, et la façon dont le Mouvement du Mieux-être a fusionné avec les théories du complot dans un phénomène appelé "conspiritualité" pour voir que la science est remise en question par des croyances magiques, spirituelles et religieuses.

L'essor du pentecôtisme

Concert de la Hillsong Church

Les églises pentecôtistes, en particulier, brouillent les frontières entre les sphères publique et privée. Hillsong, la megachurch sur laquelle j'effectue des recherches depuis une bonne dizaine d'années, est à l'avant-garde de ce phénomène en raison de son utilisation intensive du numérique et des médias sociaux (où elle compte des millions d'adeptes), de son engagement auprès de célébrités de la culture jeune, de la musique et de la mode, et dans tous les domaines de la vie par le biais de ses programmes religieux.

 

De fait, la religion et la spiritualité ont prospéré sous le néolibéralisme et le capitalisme de consommation. Le succès des "Jesus shoes" et des "Satan shoes", ainsi que des "Sunday Services", de Kanye West avec la montée en flèche des ventes de son label "church clothes" en témoignent. (...)

​

En Australie, le gouvernement a délégué la gestion de la majorité de ses services sociaux à des organisations confessionnelles chrétiennes, et encore davantage depuis 2010.

 

La plupart d'entre elles sont issues des principales églises chrétiennes (unifiée d'Australie, anglicane, baptiste, l'Armée du Salut et l'église catholique). Ainsi, les organisations confessionnelles sont en charge des migrants lorsqu'ils sont libérés des centres de détention et qu'ils rejoignent les collectivités à travers l'Australie. Elles fournissent des logements, des emplois, des cours d'anglais et une quantitié d'autres services.

 

Les églises pentecôtistes ont également commencé à s'engager auprès du gouvernement pour des prestations de services. Par exemple, le gouvernement australien ayant supprimé le financement des centres d'hébergement pour les femmes fuyant les violences domestiques, Hillsong a mis en place des "Maisons de la paix" entre autres programmes destinés aux femmes et aux enfants.

 

Cependant, la délégation par les gouvernements de leurs programmes d'aide sociale aux organisations confessionnelles est problématique. Les anthropologues Brian Hennigan et Gretchen Purser ont étudié un programme confessionnel d'aide à l'emploi aux États-Unis. Ils ont constaté qu'une logique contradictoire était à l'œuvre dans ce projet, qu'ils ont appelé "évangélisation de l'employabilité". Le programme devait concilier deux projets idéologiques : "l'indépendance du point de vue entrepreneurial, la dépendance à Dieu du point de vue moral". (...)

La religion n'a jamais disparu - et il est peu probable que cela change.

Il est vrai que chaque nation a une perception différente de la place et de l'influence de la religion. Cependant, nous devons reconnaître que, dans nos sociétés, il y a des personnes avec des orientations différentes - religieuses, spirituelles, non religieuses et tout ce qui se trouve entre les deux. Comme l'a affirmé le politologue William Connolly*, les partisans de la laïcité doivent reconnaître l'omniprésence de la foi et négocier avec ses différentes orientations plutôt que de prétendre vouloir investir un espace neutre.

 

Après tout, la politique n'est pas séparée des autres sphères de la vie, et cela inclut la religion. »

​

* Ndt : Politologue américain selon qui la laïcité n'est pas un principe mais une « doctrine », défenseur d'un « pluralisme radical » au nom duquel l'omniprésence de la foi impose des renégociations permanentes, auteur de Pourquoi je ne suis pas laïque (Why I Am Not a Secularist), Université du Minnesota, 1999.

​

Par Cristina Rocha

Article traduit par Pourquoilalaicite.fr

bottom of page