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Allocution du Premier ministre du Canada Justin Trudeau, à l'occasion de la célébration sikh de Vaisakhi (2016)

Régulièrement invoqué comme modèle alternatif au modèle laïque français, la laïcité n’est pourtant pas inscrite dans la Constitution du Canada qui annonce, dès son préambule, que la monarchie constitutionnelle canadienne, dont la reine d'Angleterre est souveraine, est fondée « sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit ».

 

Contrairement aux États-Unis ou à la France, la séparation des Églises et de l’État n’est pas inscrite dans la Charte canadienne des droits et libertés, mais seulement dans la loi 21 sur la laïcité de l'État adoptée par le seul parlement du Québec en 2019.

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Laïcité Canada Québec Loi 21

Manifestation en faveur du projet de loi 21 à Montréal le 4 mai 2021, quelques semaines avant qu'il soit adopté par l'Assemblée nationale.

Cette distinction révèle à elle seule les tensions sur la question de la laïcité à l’intérieur du pays entre le Québec majoritairement francophone et le Canada anglophone.

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C’est finalement la jurisprudence qui a établi, au Canada, les principes de séparation des Églises et de l’État.

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Les accommodements raisonnables

 

La notion juridique qui prévaut dans cette jurisprudence est celle de l’accommodement raisonnable.

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Inspiré du Civil Right Act américain, ce principe provient initialement du droit du travail où il a été introduit, en 1985, pour permettre à certains employés de bénéficier, à titre individuel, d’assouplissements au sein de l’entreprise afin d’empêcher toute discrimination fondée sur le sexe, l’âge, le handicap ou la religion.

 

L'expression « accommodement raisonnable » s’est progressivement imposée au sein de la société canadienne pour désigner toute conciliation engagée afin de permettre « à un individu ou à un groupe minoritaire de conserver ou d'obtenir des droits, de maintenir une coutume, une tradition religieuse ou culturelle, dans le respect mutuel et avec un minimum de compromis, en évitant de heurter la culture publique commune en place ».  

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Laïcité Canada école

Compte tenu de la marge d’appréciation du caractère dit « raisonnable » de tout accommodement, les différentes juridictions sont souvent sollicitées afin de trancher des litiges au cas par cas. La Cour Suprême du Canada elle-même, plus haute juridiction du pays, est appelée régulièrement à rendre des jugements en cas d’appel.

 

Elle doit alors prendre en considération quatre critères : le caractère raisonnable de la demande, le coût excessif qu’elle peut entraîner, le maintien de l’ordre public et la protection des droits d’autrui.

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A titre d’exemples :

 

Un jeune Sikh (disciple de Guru Nanak, quatrième religion de l’Inde) a-t-il le droit de porter son poignard traditionnel dans l’enceinte même de l’école ? Ce poignard peut-il être considéré comme une arme, ou doit-il être considéré seulement comme un simple symbole religieux ?

 

Au nom du principe d’accommodement raisonnable, la Cour Suprême du Canada a conclu que l’interdiction du poignard irait à l’encontre du multiculturalisme et qu’il serait accepté à condition qu’il soit placé dans un fourreau de bois lui-même placé à l’intérieur d’un sac d’étoffe, cousu de manière à ne pouvoir être ouvert, et que le jeune Sikh le porte aussi sur lui en permanence.

 

Les élèves musulmans de l’école Valley Park de Toronto, majoritaires dans l’établissement, ont-ils le droit de prier collectivement dans la cafétéria tous les vendredis ?

 

Le conseil scolaire de l’établissement a accepté ce principe (impensable aux États-Unis), provoquant l’ire de la communauté hindoue qui juge cet accommodement discriminatoire, suivie en cela par la communauté juive et catholique de la ville.

 

Une fillette musulmane est-elle autorisée à porter un casque antibruit pour qu’elle n’ait pas à entendre la musique et les chansons de sa classe ?

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C’est ce qui a été autorisé par une école de Montréal, avec l’approbation de la ministre de l’Éducation, interrogeant les défenseurs de la laïcité sur le caractère « raisonnable » d’une telle décision, et sur la mission de l’école publique.

 

Par un autre accommodement raisonnable, les juifs hassidiques de Montréal ont obtenu de procéder sur la voie publique à une cérémonie de crémation du pain propre à ce courant du judaïsme, qui a dégénéré en incendie, obligeant à une intervention des pompiers qui fut vécue comme une atteinte à leur liberté religieuse.

 

La multiplication de ces revendications particularistes encore appelée « crise des accommodements raisonnables » a fait craindre que les accommodements accordés ne deviennent à long terme des droits collectifs accordés aux minorités pouvant être interprétés comme autant de privilèges abolissant l'égalité des droits.

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La commission Bouchard-Taylor

 

Ces questionnements qui taraudent le modèle canadien ont mené, en 2007 (peu après la commission Stasi en France), à la création d’une « Commission sur les pratiques d’accommodement liées aux différences culturelles » présidée par les universitaires Gérard Bouchard et Charles Taylor.

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Laïcité Canada accommodements raisonnables

Charles Taylor et Gérard Bouchard caricaturés à la fin de leur consultation sur les « accomodements raisonnables ».

Le rapport en a été déposé en 2008, comprenant 37 recommandations largement favorables au principe d’accommodement raisonnable dans le but de promouvoir un multiculturalisme de type anglo-saxon rebaptisé « laïcité ouverte ».

 

La commission y condamne ainsi « l’État laïque qui, en œuvrant à la mise à distance de la religion, adhère à la conception du monde et du bien des athées et des agnostiques et ne traite conséquemment pas avec une considération égale les citoyens qui font une place à la religion dans leur système de croyances et de valeurs ».

 

Le modèle multiculturaliste anglo-saxon se définit donc bien, selon la commission Bouchard-Taylor, en opposition avec le modèle laïque français.

 

Ce qui relève, écrit le philosophe Henri Peña-Ruiz, d’un contresens manifeste : « l’État laïque n’est pas partie prenante de la concurrence entre convictions personnelles (athée, agnostique ou religieuse), mais assure justement leur égalité de traitement du fait qu’il se tient en dehors d’elle, à la façon d’un cadre d’organisation neutre, universaliste, et uniquement animé par le souci du bien-être commun. » (Article « Canada » du Dictionnaire amoureux de la Laïcité.)

 

A la différence de la commission Stasi, la commission Bouchard-Taylor recommande donc, en ce qui concerne le port de signes religieux par les agents de l’État, « qu’il soit interdit à certains d’entre eux (magistrats et procureurs de la Couronne, policiers, gardiens de prison, président et vice-présidents de l’Assemblée nationale). Mais pour tous les autres agents de l’État (enseignants, fonctionnaires, professionnels de la santé et autres), nous estimons que le port de signes religieux devrait être autorisé. »

 

Le rapport recommande aussi de « faire une promotion énergique du nouveau cours d’Éthique et de culture religieuse » (ECR), qui est introduit dans dans le programme obligatoire des écoles primaires et secondaires (privées ou publiques) en 2008. Ce cours exige d'aborder toutes les religions d'un point de vue neutre tout en amalgamant, de façon critiquable, enseignement de l'éthique et religion et en évacuant toute référence à l'humanisme ou à la Déclaration des Droits de l'Homme de son programme.

 

Au nom de la liberté de religion, l'école jésuite Loyola de Montréal obtient d'ailleurs une dérogation l'autorisant à enseigner d'un point de vue strictement catholique. Mais l'ECR devrait être bientôt remplacé par un enseignement sur la « citoyenneté partagée ».

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Le financement des écoles privées

 

La situation de l'enseignement religieux dans les autres Provinces du Canada est sinon extrêmement variable, certaines ayant décidé de supprimer l'enseignement religieux quand d'autres continuent à le financer. Les écoles des réserves des Premières Nations ont quant à elles été ignorées jusqu'au Rapport Vérité et Réconciliation de 2015, qui appelle à éliminer l'écart de financement en matière d'éducation entre les élèves scolarisés à l'intérieur ou à l'extérieur des réserves.

 

La question du financement des écoles privées reste sinon le serpent de mer de la question laïque au Québec, qui est la deuxième province avec le plus d'élèves scolarisés en écoles privées, dont la majorité sont des écoles confessionnelles. Or la scolarité en est financée à 60% par l’État. Le débat porte à la fois sur la communautarisation de la société qu'induit cet enseignement confessionnel (catholique, juif ou musulman) mais aussi sur le coût que la fuite des élèves du privé vers le public imposerait à l'Etat si les écoles privées n'étaient plus du tout subventionnées.

 

Selon la commission Bouchard-Taylor, la crise des accommodements raisonnables ne devrait en aucun cas être imputée au caractère  « déraisonnable » de certaines revendications minoritaires mais bien plutôt à la « protestation d’un groupe ethnoculturel majoritaire qui doute de sa propre identité ». Le rapport désigne là les Canadiens francophones (pourtant minoritaires au Canada), accusés de persécuter les nouvelles minorités issues de l'immigration.

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Laïcité Canada manifesation loi 21

Manifestation contre la loi 21 à Montréal le 14 juin 2020, jour anniversaire du vote de la loi en 2019.

La loi 21

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Malgré les recommandations de la commission, le Québec n’en vote pas moins, en 2017, une « loi sur la neutralité religieuse » qui stipule que les services publics doivent désormais être fournis et reçus à « visage découvert » (sauf en cas d’accommodement raisonnable), résolution immédiatement condamnée par l’Ontario, où une jeune femme d’origine pakistanaise avait pu prêter le serment de nationalité en niqab en 2015.

 

Ce dispositif législatif québécois est complété en 2019 par la « Loi sur la laïcité de l’État  » ou Loi 21, établissant sur le modèle de la France que « l’État du Québec est laïque » (article 1) et qu’il sera désormais interdit aux employés de l'État de porter des signes religieux : sont notamment concernés les enseignants et les directeurs des écoles primaires et secondaires publiques et les « agents de la paix » (c'est-à-dire les maires, juges, agents de police, huissiers, agents des douanes, ou le président de l’Assemblée nationale - mais non les députés), tout en reconnaissant les droits acquis aux personnes déjà en poste le 27 mars 2019, soit le jour précédant la présentation du projet de loi.

 

Cette loi est vivement contestée par Calgary, Toronto et Winnipeg qui décident, en décembre 2021, de financer une campagne contre la décision de l'Assemblée nationale du Québec. Le Canada multiculturaliste anglophone conteste la légitimité de la décision de la province francophone afin de « protéger les communautés racisées contre la discrimination » que la neutralité des agents de l’État imposerait.

 

Dans le cadre de la loi 21, le crucifix du Salon bleu, la salle où siègent les députés du Québec, n'en a pas moins été retiré en juillet 2019, soit 114 ans après le vote en France de la loi interdisant « d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit ».

Retrait du crucifix du Salon bleu de l'Assemblée nationale

à Québec en juillet 2019

Si la Cour Supérieure du Québec a bien confirmé la validité de la Loi 21 en avril 2021 elle a néanmoins décidé, de manière fort controversée, d'accorder une exemption de l'application de cette loi aux établissements anglophones du Québec, au nom des droits linguistiques garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

 

Ainsi les établissements anglophones pourront recruter des enseignants arborant des signes religieux ostentatoires (niqab ou burka), contrairement aux établissements francophones. Cette décision ravive plus que jamais la logique partitionniste au sein du Canada.

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Canada accommodement raisonnable
Laïcité Québec Loi 21
Laïcité Québec loi 21

Caricature d'Ygreck montrant le Premier ministre du Québec François Legault aux prises avec les opposants à la loi 21, Adil Charkaoui, agitateur islamiste et le maire multiculturaliste de Hampstead, William Steinberg.

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