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Chaque homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition
Manifestation de la communauté sikh française pour le droit au port du turban à l’école en septembre 2004
La laïcité à l'école est réaffirmée
« A l'école de la République sont accueillis non de simples usagers, mais des élèves destinés à devenir des citoyens éclairés. »
Extrait du rapport de la commission Stasi, 11 décembre 2003.
Pourquoi une nouvelle loi ?
Une impasse juridique
La loi de 2004 fait suite à une série d'incidents qui, depuis l'affaire des foulards de Creil en 1989, ont conduit à une impasse juridique.
L'affaire des jeunes filles voilées de Creil a posé des questions inédites, que le philosophe Philippe Raynaud résume ainsi : « la neutralité de l’État s'applique-t-elle aux seuls agents du service public, ou peut-elle dans certains cas être imposées aux usagers ? Le port du voile islamique doit-il être vu comme une liberté protégée par le droit républicain ou comme un signe de soumission des femmes incompatible avec les valeurs de la République ? S'il est réglementé, quels sont les lieux et les moments où il peut être interdit et dans quelles conditions ? »
Insuffisances et limites de la jurisprudence
Incident de Creil, suite et fin :
L'incident de Creil semble clos quand un compromis est trouvé entre le principal du collège et les collégiennes : elles pourront porter le foulard dans l'établissement mais pas dans les salles de classe, où elles le poseront sur leurs épaules. Malgré cela, les adolescentes rompent le pacte au bout de 10 jours, ce qui les conduit à être une nouvelle fois exclues. Seule l'intervention personnelle du roi du Maroc permet de mettre fin au conflit.
Des principes juridiques contradictoires :
Deux principes juridiquement incontestables, mais potentiellement contradictoires, sont ainsi invoqués :
- le principe de la laïcité de l'enseignement public et de la neutralité de l'ensemble des services publics
- la liberté de conscience des élèves
Ainsi, le Conseil d’État* donne un avis en novembre 1989, affirmant que la « liberté d'expression et de manifestation des croyances religieuses » autorise les individus à porter des « signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion », et que le port de signes religieux n'est donc pas « par lui-même incompatible avec le principe de laïcité ».
Mais il rappelle en même temps que cette liberté ne saurait non plus « permettre aux élèves d'arborer des signes d'appartenance religieuse qui, par leur nature, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, porteraient atteinte à la liberté de l'élève ou d'autres membres de la communauté éducative ».
* Le Conseil d’État est la plus haute des juridictions de l'ordre administratif (de même que la Cour de Cassation est la plus haute des juridictions de l'ordre judiciaire).
La responsabilité laissée aux chefs d'établissement :
Après avoir déclaré à l'Assemblée Nationale le 25 octobre 1989 que « l'école ne peut exclure car elle est faite pour accueillir », le ministre de l'Education Nationale Lionel Jospin remet aux directeurs d'établissement le soin de trancher, au cas par cas, selon la circulaire du 12 décembre 1989.
Il s'avère rapidement que l'avis du Conseil d’État et la circulaire qui l'accompagne, présentés comme un moyen de responsabiliser les établissements en les invitant à répondre au cas par cas, donnent l'autorisation de poser des recours contre toutes les décisions d'exclusion.
De nouvelles affaires de voiles islamiques se multiplient ainsi en contestation des règlements intérieurs des établissements.
Le premier d'entre eux est, à la rentrée 1990, celui de trois jeunes filles exclues du collège Jean-Jaurès de Montfermeil pour avoir porté le foulard islamique dans l'enceinte de l'établissement, décision confirmée par le recteur de l'académie de Créteil puis par le tribunal administratif de Paris.
Le Conseil d'Etat sanctionne pourtant d'illégalité l'exclusion de ces élèves dans un arrêt de novembre 1992 (dit arrêt Kerouaa) au motif que la décision relève d'un « excès de pouvoir » car fondée sur un règlement intérieur interdisant tous les signes religieux.
Cette circulaire est cependant sans effet sur le Conseil d'Etat qui refuse le principe d'une interdiction générale car, selon lui, le foulard ne peut être considéré en lui-même et par son seul port comme « ostentatoire ou revendicatif ».
En novembre 1996 cependant, il valide tout de même l'exclusion de 17 élèves du Lycée Faidherbe de Lille au motif que ces élèves ont « excédé les limites du droit des élèves d'exprimer et manifester leurs croyances religieuses à l'intérieur des établissements scolaires ».
Une circulaire inopérante :
François Bayrou, ministre de l'Education nationale, propose dans une circulaire de septembre 1994 l'interdiction générale des « signes ostentatoires qui constituent en eux-mêmes des éléments de prosélytisme ou de discrimination ».
Le refus par le Conseil d'Etat d'une interdiction générale des signes ostentatoires est vu à l’époque par le philosophe Guy Coq comme relevant d'une « idéologie antirépublicaine, incompatible avec la légitimation de certaines contraintes nécessaires à la vie sociale. Une idéologie dont se prévalent immanquablement de nouvelles demandes, et qui contribue à déstructurer un peu plus, en la livrant au communautarisme, une société fragilisée ».
De 1994 à 2003, une centaine d'élèves sont ainsi exclues de collèges et de lycées publics pour avoir porté le voile islamique. Dans environ un cas sur deux, ces exclusions sont annulées par les tribunaux. Dans certains cas on tolère le port dans l'enceinte dans l'établissement mais pas lors des cours, dans d'autres on l'interdit, dans d'autres encore on réintègre les jeunes filles voilées dans leur établissement.
Il apparaît dès lors à tous que la laïcité, principe à valeur constitutionnelle, ne peut être ainsi abandonnée au compromis et au cas par cas, au risque de devenir un principe à géométrie variable.
La seule voie possible pour sortir de cette impasse est la voie législative. L’État se trouve donc contraint de légiférer.
Le vote de la loi
La commission Stasi
En juillet 2003, le président de la République, Jacques Chirac, nomme une commission de 20 experts présidée par Bernard Stasi, destinée à réfléchir sur l'application du principe de laïcité en France.
La commission Stasi se signale par une diversité politique et des positions hétérogènes sur la question de la laïcité, ayant selon Philippe Raynaud pour premier mérite d'être « réellement pluraliste et de ne pas avoir de doctrine préétablie sur ce qu'elle devait proposer » car elle comprenait des « républicains » convaincus, attachés à une conception universaliste de la laïcité comme les philosophes Régis Debray ou Henri Peña-Ruiz, mais aussi des catholiques comme l'historien René Rémond ou des « démocrates » multiculturalistes comme le sociologue Alain Touraine. Il est donc d'autant plus remarquable que les discussions, précédées d'auditions de nombreux acteurs de terrains et de spécialistes aient abouti à la recommandation unanime d'une interdiction générale des signes religieux ostensibles, à la seule exception de Jean Baubérot, favorable à une « substitution du voile par le bandana ».
Rémy Schwartz, rapporteur général de la commission Stasi, témoigne :
« Vous aviez l'hétérogénéité la plus totale, un rassemblement d'électrons libres, et on ne savait pas au départ ce que cela allait donner. (...) Il y a eu une « fusion », en quelque sorte, des personnalités et on a abouti à un consensus auquel en réalité personne ne s'attendait. Personne.
(...)
Certaines auditions ou témoignages ont-ils joué un rôle déterminant dans la construction de ce consensus ?
Oui, notamment les jeunes femmes qu'on a entendues à huis clos. La souffrance de femmes, de jeunes, la souffrance d'enseignants, de médecins, d'infirmières, la souffrance de notre société. Nous avons été confrontés à un sentiment d'abandon, au sentiment que la République ne protège plus les faibles, les plus faibles. Ça a été terrible pour ceux de ma génération marqués par l'émancipation de la femme que d'entendre des gamines vous dire qu'elles étaient obligées de porter des jogging informes pour qu'on ne les embête pas, alors qu'à Janson de Sailly on voit le string qui dépasse du jean : ce sont deux univers ; vous dire qu'elles ne peuvent même pas serrer la main des garçons, ni les regarder dans les yeux. C'est un autre univers et c'est l'échec complet de ce que ma génération croyait : l'évolution inéluctable de la société grâce au progrès, l'égalité en marche. On ne pouvait pas imaginer, lorsque j'avais vingt ans, que vingt-cinq ans après, dans les mêmes lycées, il y aurait des jeunes filles qui seraient dans cette situation de soumission et de contrainte. »
A l'issue de quelques cent cinquante auditions, la commission remet un rapport « soucieux de conforter la laïcité dans les services publics, tout en préconisant d'agir sur les ressorts sociaux des communautarismes. »
Qu'est-ce que la commission Stasi ?
Une explication en images :
Le vote à l'Assemblée nationale
Parmi les propositions de la commission nécessitant législation est retenue la proposition d'interdire dans les écoles publiques les tenues et les signes qui manifestent de façon ostensible une appartenance religieuse.
La proposition de loi est votée à l'Assemblée Nationale en mars 2004, malgré l'opposition de plusieurs obédiences religieuses. Elle est adoptée à une très forte majorité, grâce notamment au ralliement du Parti Socialiste (494 voix pour, 36 contre et 31 abstentions).
Elle n'aura été contestée que par les Verts, la Ligue communiste révolutionnaire et le Front National.
Sources :
- Guy Coq, « Querelle autour d'un voile », Revue L'Histoire, « Les batailles de l'école, de Jules Ferry à François Bayrou », septembre 1996.
- Philippe Raynaud, La laïcité, histoire d'une singularité française, 2019.
- Henri Pena-Ruiz, La laïcité, genèse d'un idéal, collection Découvertes Gallimard, 2005.
- Entretien avec Jean Baubérot, « Dialogue avec l'abstentionniste de la commission Stasi », revue Droit et société, n° 68, 2008.
Synthèse
Quel était le but du rapport de la commission Stasi ?
1. Pacifier l'école et protéger les élèves, en particulier les jeunes filles, des pressions religieuses
« La commission, après avoir entendu les positions des uns et des autres, estime qu'aujourd'hui la question n'est plus la liberté de conscience, mais l'ordre public. Le contexte a changé en quelques années. Les tensions et les affrontements dans les établissements autour de questions religieuses sont devenus beaucoup trop fréquents. Le déroulement normal des enseignements ne peut plus être assuré. Des pressions s'exercent sur des jeunes filles mineures, pour les contraindre à porter un signe religieux. L'environnement familial et social leur impose parfois des choix qui ne sont pas les leurs. La République ne peut rester sourde au cri de détresse de ces jeunes filles. L'espace scolaire doit rester pour elles un lieu de liberté et d'émancipation. »
2. Réaffirmer l'espace neutre qu'est l'école laïque
« A l'école de la République sont accueillis non de simples usagers, mais des élèves destinés à devenir des citoyens éclairés. L'Ecole est ainsi une institution fondamentale de la République, accueillant pour l'essentiel des mineurs soumis à l'obligation scolaire, appelés à vivre ensemble au-delà de leurs différences. Il s'agit d'un espace spécifique, soumis à des règles spécifiques, afin que soit assurée la transmission du savoir dans la sérénité. »
« Le caractère visible d'un signe religieux est ressenti par beaucoup comme contraire à la mission de l'école qui doit être un espace de neutralité et un lieu d'éveil de la conscience critique. C'est aussi porter atteinte aux principes et aux valeurs que l'école doit enseigner, notamment l'égalité des hommes et des femmes. »
Source : rapport de la Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, 11 décembre 2003.
Jusqu'alors l'usage était que les élèves évitaient le port ostensible de signes d'appartenance religieuse ou politique puisque l'école publique, depuis les Lois Ferry, leur offrait l'espace neutre (neutralité des locaux, des enseignants et des enseignements) propice à leur émancipation.
La loi de 2004 réaffirme la mission émancipatrice de l'école qui, par l'apprentissage du libre examen, forme les futurs citoyens.
La loi de 2004
Article 1:
« Conformément aux dispositions de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation, le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.
Lorsqu’un élève méconnaît l’interdiction posée à l’alinéa précédent, le chef d’établissement organise un dialogue avec cet élève avant l’engagement de toute procédure disciplinaire. »
Bulletin officiel du ministère de l’Éducation Nationale, 27 mai 2004
Discours de Jacques Chirac annonçant la mise en application de la loi :